Traversée l'Atlantique en voilier

Notre traversée de l’Atlantique…

Nous sommes le 5 Décembre 2008. On se lève, on range le bateau, on déjeune, on se débarbouille…Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, c’est « jour de grand départ » !

Il faut encore aller à la douane pour faire notre sortie du Cap Vert et faire tamponner nos passeports. Un dernier plein d’eau, nous achetons quelques fruits et ça y est, il faut larguer les amarres. Nous ne sommes pas les seuls à entreprendre la traversée vers les Antilles ou le Brésil. En effet depuis quelques jours nous entendons résonner les cornes de brumes saluant le départ d’un tel et d’un autre.

(Si vous avez manqué le dernier article : 3.1 Cap sur les îles du Cap vert.)

Aujourd’hui c’est notre tour et nous aurons droit à de grands signes de la part de nos voisins, car on fait vite connaissance sur les pontons. Ceux qui se préparent à nous suivre et avec lesquels nous avons échangé ont comme nous le cœur serré d’émotions diverses : un mélange d’excitation et d’inquiétude.

Il y a aussi quelques difficultés à dire au revoir…Il faut dire qu’on aime se retrouver entre marins. C’est comme une grande famille, la coopération y garde encore beaucoup de sens !

Notre esprit ce jour-là n’est donc pas si léger que ça. Nous essayons de ne pas penser au temps que l’on va passer sans voir la terre, sans pouvoir y mettre les pieds et sans pouvoir échanger de nouvelles avec nos proches.

En effet, à ce moment là de nos aventures, nous ne disposons que d’une balise de détresse (EPIRB Cospas – Sarsat) pour communiquer avec la terre depuis le grand large. Par définition, cet outil ne doit être utilisé qu’en cas d’extrême urgence. Donc pour ce qui est des communications de routine, nous devrons nous contenter de recevoir la radio en onde courte, ce qui est déjà bien et d’un certain point de vue, suffisant.

Naviguer avec l’harmattan

En ce jour de départ, nous sommes enveloppés de mystère tant par cette épreuve, (c’est la première fois pour nous deux), que par l’harmattan. Il s’agit d’un vent de sable très fin et rouge – orangé venu du Sahara…Il enveloppe totalement les îles du Cap Vert depuis aujourd’hui !

L’harmattan forme une brume impressionnante, j’estime la visibilité à 500 mètres à peine. Du coup, je ne peux même pas faire une dernière photo des lieux avant le départ…Pour que vous voyez quand même de quoi on parle, je vous ai trouvé une photo sur Wikipedia. Lorsque l’Harmattan se lève, le paysage ressemble à ça :

L'harmatan

Et donc pendant près de trois jours, alors que nous faisons route vers le large, nous ne voyons pas à plus d’un mile autour de nous !

Tout prend la couleur du sable…

En plus, ces grains de sable ultra fins s’infiltrent partout dans les moindres recoins du bateau, c’est très très sec et désagréable ! Nous en retrouverons plusieurs semaines plus tard dans les endroits les plus inattendus, y compris dans le radôme du radar !

Nous apprendrons par la suite dans un documentaire extraordinaire que l’harmattan traverse carrément l’Atlantique ! Et que le sable et les éléments qu’il contient est indispensable au développement de…..L’AMAZONIE…Ce documentaire, c’est TERRE SOUS INFLUENCE, je vous le conseille vivement !

En tout cas, en ce début de traversée de l’Atlantique, nous attendons donc la pluie avec impatience !

Les occupations à bord d’un voilier qui traverse un océan

Sinon, que fait-on pendant une traversée ?

Tout d’abord, on pêche ! Et la pêche sera bonne en ce début de croisière ! Chaque jour, pendant la première semaine, nous pêchons une petite dorade. Format idéal pour deux personnes.

Traverser l'Atlantique en voilier

Une fois la dorade à bord, nous ne remettons pas la ligne à l’eau. En effet, à l’époque, notre frigo est coupé car il consomme beaucoup trop d’énergie. Et Isabelle n’a pas encore appris à faire des bocaux. Plus tard, les bocaux nous permettrons de conserver du poisson pendant plusieurs semaines sans problème (si cela vous intéresse n’hésitez pas à jeter un œil au livre de cuisine d’Isabelle ).

En tout cas, nous perdons quand même trois « octopus » (leurres) et hameçons, sûrement attaqués par des poissons trop gros. Il y a donc des poissons avec piercing au milieu de l’océan !

Ensuite, on lit et on écrit.

Transatlantique en voilier
Transatlantique en voilier

On n’oublie pas de surveiller le bateau, qui a droit a son check up des points vitaux tous les jours.

On ne rate pas le rendez-vous quotidien avec la météo de RFI à 11h30 TU que l’on capte grâce aux ondes courtes et à une antenne spéciale que nous envoyons dans les barres de flèche. (Malheureusement ce service de Radio France a été supprimé depuis).

Et on se lave tranquillement avec des seaux d’eau de mer, on se protège du soleil en bidouillant des protections diverses, on lave le peu de linge qu’on utilise et on le fait sécher. On joue ensemble, on se protège des grains, on prend la barre, on médite sur nous, la famille, le monde et ses problèmes, l‘univers, quand j’ai la guitare qui me démange, je la gratte un petit peu, etc.…

On discute (on refait le monde justement), on fait des câlins, on barre à nouveau, on prépare quelque chose à manger, on fait le point sur la carte marine « Route du Rhum ».

Traversée de l'Atlantique à la voile
Transatlantique en voilier

On calcule trois ou quatre fois par 24 heures la distance parcourue et restant à parcourir.

On fait des siestes, beaucoup de siestes, mais surtout…

On regarde autour de nous !

On regarde la course du soleil, ses magnifiques levers et couchers qui se décalent chaque jour plus tard (c’est rigolo de le rattraper), et la mer, ou plutôt l‘Océan, qui change sans arrêt de forme et de couleur.

Transatlantique en voilier

On regarde les étoiles et la lune et leur course à travers le ciel. On admire les dauphins et les poissons volants. On joue avec les oiseaux, les océanites, les pailles en queue, mais surtout les fous de bassan qui n’hésitent pas à voler tout près du bateau !

Si près que l’un d’eux, que nous avons baptisé ’’Foufou’’, s’invite à bord après moultes tentatives d’atterrissage sur le panneau solaire !

Transatlantique en voilier - Fou de bassan

J’ai beau dire à Isabelle que Foufou ne doit pas squatter là toute la nuit, elle ne veut rien entendre :

– bien sûr que si, il peut rester, il est épuisé et s’est donné tant de mal pour atterrir !

– OK mais c’est toi qui nettoies demain !

Et Foufou est resté….Toute la nuit. Il s’est bien reposé et au petit matin il a repris son envol. Et comme prévu il nous a laissé de magnifiques souvenirs gluants, au parfum de poisson pas frais, ce qui demande à Isa beaucoup d’huile de coude pour en venir à bout. Tout l’arrière du bateau est recouvert de fientes, les panneaux solaires aussi ! Il y a comme un peu d’énervement chez elle qui ce matin là, supporte mal les sourires moqueurs du capitaine… Il va peut-être y avoir un seau d’eau de mer qui va finir ailleurs que sur le pont.

De toutes façons, elle est contente de nettoyer car la vie de Foufou était plus importante que ces quelques fientes à brosser !

Extrait du journal de bord d’Isabelle

Tous les deux, nous lisons et écrivons beaucoup. Ce ne serait pas forcément très intéressant de retranscrire l’intégralité de nos textes, en tout cas, parmi les écris de l’époque, il y en a certains qui permettent de bien se plonger dans l’ambiance…

Journal de bord - Traversée de l'Atlantique à la voile

Lundi 8 décembre, quatrième jour de mer :

Levée avec le soleil, petit déjeuner, mise à l’eau de la ligne de traîne, câlin….et HOP, une dorade ! Une belle, trop belle pour nous. Arrivée au cul de FIDJI, deux coups de queue, et la voilà partie, bon, OK, elle a gagnée. On recommence, vérification de la ligne et remise à l’eau…

Le soleil donne ce matin, je vais m’abriter sous mon parapluie.

Et HOP une dorade ! Et cette fois elle est remontée à bord sans problème !

Quatre en quatre jours, c’est bon ça ! Et en plus, mes filets sont de mieux en mieux préparés, ce qui est un exploit dans le roulis.

Ça sent le spi aujourd’hui ! J’aime être sous spi, je trouve que FIDJI est magnifique sous spi. Il vogue alors avec une plus grande légèreté et le moindre souffle d’Éole l’entraîne sur les flots. Il gagne en vitesse, il glisse, il faudrait peu de magie, un peu de poudre de la fée clochette par exemple, pour le voir s’envoler.

Pendant un long moment, un fou de bassan a joué avec lui, et les poissons bondissent hors de l’eau pour le saluer. Et lorsque les dauphins viennent s’amuser avec sa vague d’étrave, il semble encore plus heureux. Nous naviguons sur un bateau joyeux ! Et le bonheur règne à bord ! Famille qui nous attendez, ne vous inquiétez pas, nous allons bien !

Mercredi 17 décembre 2008, treizième jour de mer

FIDJI file à 6 nœuds au cap 270°, c’est-à-dire vers l’ouest, avec un ris dans la grand voile et le génois diminué lui aussi. Les grains se succèdent avec plus ou moins de force et je reste impressionnée, je serre les fesses si vous préférez.

Il nous reste 610 miles à parcourir ce qui fait 1000 km à peu près sur les 2200 miles depuis le Cape Vert jusqu’en Martinique.C’est le treizième jour depuis le départ. Treizième  jour et bientôt treizième nuit ce qu’il faut bien prendre en considération car les nuits sont aussi remplies que les jours.

Cette expérience va sûrement (et a sûrement déjà) opérer beaucoup de changements chez moi. Être livrée ainsi aux éléments naturels m’a permis de connaître mes limites, d ‘affronter mes peurs, de relativiser sur beaucoup de choses.

Je peux dire que j’ai l’esprit lavé, rincé, ventilé, aéré, ensoleillé et d ‘autant plus clair !

La vie m’apparaît sous un angle nouveau !

Des épreuves, j’en ai déjà rencontrées beaucoup depuis 45 ans. Celle-ci défie tout ce que j’avais pu vivre et je suis fière de moi car quelques soient les conditions météo j’ai bien tenu la barre et me suis amarinée. S’il m ‘est arrivé de me retrouver recroquevillée sur moi-même, je n’ai jamais vomi !

Bon, me direz-vous, est-ce un exploit ? Je pense que oui !!!

En ce moment et depuis plusieurs jours nous subissons des grains dignes de ce nom mais je tiens la cuisine et la cuillère en bois avec gourmandise.

Je me surprends à la barre où je ressens de mieux en mieux les effets du vent et des vagues !

Toutes ces journées passées sur l’eau m’ont permis des rencontres singulières, éphémères, excitantes. Au top je nommerai les dauphins qui sont vraiment extraordinaires, puis il y a les poissons volants qui par bancs entiers s’envolent devant nous sur de longues distances. Et les dorades que nous avons mangées (sauf deux qui sont parties avec l’octopus et l’hameçon en guise de piercing). Il y a aussi les oiseaux : océanites voltigeurs, fous de bassan curieux qui n’hésitent pas à rester un long moment à nous observer en volant avec dextérité autour des voiles, les pailles en queue qui nous saluent vite fait mais bien gentiment quand même.

Et puis il y a la course du soleil, du lever au coucher qui nous offre des tableaux incroyables et chaque jour différents. Et la voie lactée, les levers de lune, les constellations dont la croix du sud et le phénix (que l’on voit à partir de 7 heure UTC seulement et seulement aussi à partir du 15° nord), les planètes dont Vénus qui illumine la route que l’on doit suivre de vers l’ouest par son reflet dans l’eau…

Et enfin, il y a la mer bien sûr sans qui toute cette aventure ne pourrait avoir lieu. Elle aussi peut passer du tout au tout. Elle nous a permis, alors qu’elle était on ne peut plus bleue et calme, de nous baigner, accroché à une aussière flottant avec l’aide d’un pare battage, derrière Fidji. Se baigner en plein milieu de l’océan par 5000 mètres de
fond en décembre, vous imaginez ça !?

Baignade - Traversée de l'Atlantique à la voile

Je peux le dire maintenant : j’ai traversé l’Atlantique sur un voilier, un Jeanneau Gin Fizz de 12 mètres !

Et même si ce n’est pas un exploit car beaucoup de monde le fait, et bien pour moi, c’en est un !

La vie est SACREMENT SACRÉE !!!

Je le savais déjà mais là j’en suis Sûre !!!

Pendant la traversée, chaque jour est différent

On passe de la pétole molle (pas de vent…) aux grains tumultueux. Puis on retrouve un vent régulier. Et ça recommence, pétole, grains, vent régulier…et ciels bleus et ciels nuageux…De son côté, le soleil est très très fort !

La nuit, notre coéquipier protecteur de notre sommeil, notre radar Morphéus, nous prévient des grains. Il sonne. Il faut alors se lever, mettre la veste de pluie, réduire la puissance des voiles, et attendre que ça passe. Parfois, le vent est trop fort pour Antoine notre régulateur d’allure. Il faut alors prendre la barre, dans le vent et sous la pluie. La fête quoi. Mais heureusement, il fait toujours chaud et cela ne dure jamais bien longtemps, c‘est déjà ça…

Transatlantique en voilier
Transatlantique en voilier

Les rôles des deux membres d’équipages se sont naturellement établis, sans concertation préalable, et la cuisine a été toujours bien tenue !

Tous les jours, dès le réveil nous avons droit au pain grillé avec du beurre et des œufs, le p’tit café, le p’tit thé. Puis un bon déjeuné (exemple dorade-ratatouille), puis un bon dîner (exemple patates sautées-saucisses suivi de crumble pomme-banane poire).

Il ne faut pas oublier La p’tite bibine et le ti-punch-couché de soleil du capitaine, agrémenté de toasts au beurre et à l’ail, Isabelle étant beaucoup plus sobre !

Transatlantique en voilier

Nous sommes heureux aussi d’avoir un si bon voilier et ces supers équipiers, Antoine le régulateur d’allure (quelle géniale invention), Popeye le moteur diesel qui nous sort de la pétole et recharge les batteries en association avec le panneau solaire, Morphéus le RADAR qui surveille les alentours et nous permet de prendre un peu de repos…

Sans oublier nos mascottes Doudou et Citron, qui nous encouragent toujours à la bonne humeur !

Doudou et Citron

Et on avance, parfois doucement, parfois bien vite… Oh mon bateau oh oh oh, c’est le plus beau des bateaux !

« TERRE, TERRE, TERRE EN VUE ! » On y est !

Notre traversée de l’Atlantique en voilier aura donc duré 17 jours, 17 nuits et 3 heures ! Nous arrivons au mouillage de la plage de Sainte Anne en Martinique ! Quel bonheur !

L’odeur de l’île nous chatouillait le nez depuis déjà plusieurs miles, cette odeur de fleurs, de terre humide et fertile, de chlorophylle !!! Les sensations à l’arrivée sont époustouflantes.

Nous sommes heureux, tellement heureux…Heureux de l’exploit accompli, heureux de la fiabilité de Fidji, heureux de pouvoir enfin prendre et donner des nouvelles à tous ceux qu’on aime ! Heureux d’être ensemble et d’être toujours aussi amoureux !

Et heureux que le roulis s’arrête enfin !!

Nous mettons l’annexe à l’eau, installons Petzouille notre petit moteur hors bord et rejoignons la plage. Il y a un bar, avec internet, et même une cabine téléphonique.

Transatlantique en voilier
Transatlantique en voilier

Nous avons prévu un arrêt assez long ici aux Antilles, car il nous faut absolument remplir la caisse de bord !

Nous retournons voir nos employeurs basés au Marin non loin de là et retrouvons la vie professionnelle. Vous vous en doutez, être au milieu de l’océan éloigne les soucis que l’on peut avoir à terre. En mer, on a vraiment l’occasion de penser à autre chose, de prendre du recul et de relativiser.

Mais nos soucis financiers ne se sont pas évaporés pour autant, la maison n’est toujours pas vendue et nos crédits bancaires ne se sont pas remboursés tout seuls.

Petit bilan des avaries et des choses à améliorer

Nous avons fait le bilan de ces 4 mois de voyage intensif : on ne déplore qu’une panne, celle de l’alternateur rapporté : il ne charge plus.

À part ça, nous avons perdu 3 leurres octopus et quelques plombs arrachés par de trop gros poissons, un tuyau d’arrosage tombé à l’eau aux Canaries (malgré mes efforts par 10 mètres de fond, je n’ai pas réussi à le retrouver…), un embout de douchette, un cache de feu de poupe explosé par ma combinaison en train de sécher dans le vent, quelques pinces à linge… et nous avons éclaté un pare-battage sur le quai à El Hierro.

J’ai établi une liste supplémentaire avec les choses à améliorer, à acheter, à bricoler, à modifier : faux contacts prise allume cigare, enrouleur de génois qui coince, annexe qui prend l’eau grave (le fond se décolle), il y a pas mal de vernis à refaire…..et surtout, IL NOUS FAUT UN TAUD pour naviguer à l’ombre !

En effet, à La Rochelle, j’avais enlevé le bimini qui prenait trop de place et dont les arceaux nous empêchaient d’utiliser les winchs correctement. C’est jouable tant que l’on ne navigue pas trop longtemps, et bien sûr en dehors des tropiques. Mais durant notre traversée de l’Atlantique, il nous a vraiment manqué une protection solaire !

D’autant plus que nous avons découvert que notre peinture de pont grise n’est pas du tout adaptée au climat tropical ! Sauf si c’est pour y faire cuire quelque chose, car il est BRÛLANT !

Nous allons devoir trouver une solution à cela pour nos prochaines grandes navigations…

Dans quelques jours, nous serons en 2009 !

Notre voyage continue avec cette longue escale aux Antilles…Escale que nous vous raconterons bientôt dans les prochains épisodes !

À bientôt !

Patrick Belliot

Mata’i Nautisme

Et pensez à regarder TERRE SOUS INFLUENCE ! C’est énorme !