Notre traversée des Canaries au Cap Vert…
Après ces quelques semaines d’escale aux Canaries, nous voilà donc à nouveau en mer ! Cap sur les îles du Cap Vert ! Elles se trouvent à environ 850 MN (1600 km) au sud-ouest des Canaries.
Nous sommes mercredi 19 novembre 2008, l’île El Hiero s’éloigne dans notre sillage. Nous partons à fond sous voile.
Quelques heures plus tard, le vent tombe, on démarre le moteur. En fin d’après-midi le vent revient, on coupe le moteur et on envoie le spi. Au coucher du soleil, le vent tombe à nouveau, on affale le spi et on redémarre le moteur. Puis le vent revient plus fort pendant la nuit, il faut même prendre un ris.
Et puis quelques heures plus tard à nouveau plus rien, pétole… Punaise !
(Si vous avez raté l’article précédent, il est par ici : 2.5 La Gomera et El Hiero)
Nous naviguons comme ça durant 7 jours et 6 nuits, avec une météo changeante, mais clémente. Et chaque jour, on sent la température monter d’un cran. Le roulis est dur à supporter surtout lorsque le vent tombe, mais on apprécie d’autant plus les moments ou cela ne roule pas.
Par moment les dauphins nous accompagnent pour notre plus grand bonheur.
Le régulateur d’allure en grande croisière
Notre régulateur d’allure, baptisé Antoine, a super bien barré les ¾ du temps. Il se révèle une fois de plus comme un outil particulièrement génial en grande croisière ! Tenir son cap ainsi sans consommer un seul ampère, quel luxe ! Par contre, pour qu’il fonctionne correctement, il faut que les voiles soient bien réglées : Le voilier doit être équilibré, ni mou, ni ardent. Et il faut du vent, car par vent faible, impossible de lui faire tenir son cap.
Un pilote électrique reste donc évidemment très utile, en particulier lorsque nous faisons route au moteur. En effet, on se moque bien de notre consommation électrique lorsque le moteur tourne et que les batteries rechargent.
Le régulateur d’allure fonctionne parfaitement au largue, disons entre 120 et 170° du vent. Vent de travers c’est un peu plus difficile pour lui. Sous spi, ce n’est pas son truc non plus. L’équilibre de route est différent lorsque nous portons cette grande voile, et dans ces conditions, je n’ai pas réussi à régler le régulateur de façon à pouvoir complètement lui faire confiance.
Il n’en reste pas moins qu’il est plus qu’un 3ème équipier, puisqu’il barre vraiment bien 75% du temps. J’ai pour projet de publier prochainement un article complet au sujet du régulateur d’allure (pensez à vous abonner à la newsletter si vous voulez être prévenu).
Le radar en grande croisière
En ce qui concerne le radar, (lui nous l’avons appelé Morphéus), c’est un peu pareil. C’est comme un équipier en veille, sauf qu’il voit loin, même la nuit et qu’il ne s’endort pas ! La nuit, je détermine « une zone de garde » sur son écran. Il est réglé pour sonner s’il détecte un échos dans cette zone. Cela permet de relâcher notre attention et de nous assoupir plus sereinement.
Il sonne si un bateau approche, mais il repère également les grains et les éventuels orages, informations de première importance !
Sa consommation électrique est fortement réduite grâce à une option qui permet sa mise en veille automatique. En fait il émet 1 minute toutes les 10 minutes, c’est top. Car si je devais le laisser émettre en permanence, il pomperait beaucoup plus d’énergie.
Le radar s’avère donc également un équipier particulièrement apprécié.
Le ciel, la mer, les dauphins et FIDJI
Durant cette traversée nous avons des moments de grand calme, nous installons même parfois le PC dans le cockpit pour écrire. Et au fur et à mesure que les jours passent et que les latitudes défilent vers l’équateur, le vent devient de plus en plus chaud et régulier.
La mer nous séduit, parfois nous énerve quand elle est trop agitée, mais jamais nous ne nous ennuyons.
Les dauphins nous saluent à maintes reprises et nous offrent de jolis sauts. Le ciel est un tableau de maître au lever comme au coucher du soleil. Il en va de même tout au long de la journée.
Et la nuit : C’est l’apothéose ! Vénus et Jupiter sont les premières à entrer en scène, plus brillantes que jamais. Puis les étoiles forment leurs constellations, la Voie Lactée apparaît dans toute sa splendeur.
Les étoiles filantes se succèdent pour notre plus grand plaisir ! Nous rêvons sous les constellations du zodiaque et autres, la Grande et la Petite Ours, le Dragon, Orion, Pégase, Andromède, le Cygne, Cassiopée…Et pour couronner le tableau, nous commençons à voir apparaître les constellations de l’hémisphère sud, en particulier le Phoenix et la Croix du sud qui ne sort que vers 6 heures du matin…. Nous avons « la tête dans les étoiles » ! C’est trop beau.
Le rêve éveillé
Nous admirons les oiseaux danser dans les courants d’air, caresser les flots du bout de l’aile. Chaque jour que nous passons en mer nous renforce dans l’idée que nous aimons cette nouvelle vie. VIE, on pourrait s’amuser avec ses lettres à faire des acrostiches : Voyage, Initiative, Énergie. Ou encore : Vision, Imagination, Envole…. Nous avons le temps de jouer avec les mots.
Un extrait du journal d’Isabelle :
Ici, la vie est partout, invisible ou visible. Elle rayonne avec simplicité sans artifice et nous en sentons la force. Valeur sûre de l’authenticité de ce qui nous entoure. L’homme n’a pas de prise sur l’horizon. Ici tout est comme au premier jour. Il faudrait que nous ayons tous cette possibilité, une fois au moins dans notre vie, de nous immerger dans un berceau de la création où rien ne puisse nous rappeler la société d’aujourd’hui. Les vraies valeurs de la vie sont loins de nos systèmes mais proches de nous, car il nous faut peu de temps pour retrouver notre équilibre naturel.
Et puis finalement, nous voyons les terres à l’horizon, nous arrivons au Cap Vert !
Arrivée au Cap Vert
Mardi 25 Novembre nous arrivons dans le port de Mindelo, la principale ville (45000 habitants) sur l’île de Sao Vincente. Mindelo, c’est la ville de Cesaria Evora, qui est encore parmi nous à l’époque.
La ville nous semble à la fois pauvre et en pleine expansion. Elle grouille de vie, les pêcheurs passent avec des gros thons de 2 mètres pour les amener au marché, les magasins, banques, bars, usines fonctionnent bien, les maisons sont colorées. La population est souriante et sympathique. Ce qui nous étonne le plus : Beaucoup parlent un excellent français ! En fait, ils l’apprennent à l’école !
Ils nous accostent tout de suite pour nous vendre ou nous proposer diverses choses (colliers, bracelets, T-shirts, marijuana, tour de l’île en voiture, etc.…), ou évidemment pour nous demander de l‘aide parce qu‘ils n‘ont rien, c‘est l‘Afrique, on y meurt aussi de faim.
Nous croisons une jeune fille qui nous demande si nous voulons bien lui acheter une boite de lait en poudre pour son bébé…
Mais le Cap Vert a une bonne carte en main, le tourisme. Avec une certaine stabilité politique et des liens étroits avec le Portugal, le Cap Vert a quelques atouts par rapport à d’autres pays africains. Isa est heureuse, elle a toujours rêvé de l’Afrique et là elle s’y retrouve un peu.
Le marché s’étale dans les rues, quelques fruits par là, quelques légumes par ici, certains vendent du poisson, d’autres du poulet vivant ou juste plumé. Isa se demande d’ailleurs si ce serait une bonne idée d’avoir une bonne poule pondeuse à bord ?! Des fois franchement…
Baia de Sao Pedro
Après les formalités, quelques achats et séances de téléphone et d’internet avec la famille, nous levons l’ancre à nouveau. Les villes ce n’est toujours pas trop notre truc alors nous rejoignons un mouillage à 3 heures de Mindelo.
Toutes voiles dehors cap sur le mouillage de la Baia Sao Pedro ! Déjà s‘éloigner de toute cette effervescence c’est mieux, mais je tiens surtout à y aller parce qu’il s’agit d’un spot de planche à voile réputé ! Des records mondiaux de vitesse y ont été battus grâce à la configuration du lieux. Certains disent que pour cela ce serait un des « meilleur spot du monde » !
Et en effet c’est surprenant !
À gauche, il y a un petit complexe hôtelier assez sobre mais assez vert par rapport au reste de la baie. À droite, un petit village de pêcheurs aux maisons colorées. Au milieu une piste d’aéroport qui part du bord de la plage et s’enfonce dans la sèche vallée bien plate. Car le tout est bordé de montagnes arides, un vrai couloir pour le vent, pile dans l’axe des alizés. Effet venturi assuré, il est canalisé et accélére bien fort. Impeccable !
Pour le windsurf, les conditions sont quand même effectivement assez exceptionnelles. Car malgré ce vent puissant, comme vous le voyez sur les photos ci-dessous, la mer est plate puisque celui-ci vient de la plage…
Mon matos de planche frétille autant que moi, je suis tout excité à l’idée d’exploser le record mondial de vitesse et de passer le mur du son sur ma planche !
4 jours, seuls au mouillage en baie de Saô Pedro
Quand on a l’habitude de naviguer en Bretagne ou en Méditerranée, les mouillages solitaires sont rares. Alors ici cela n’a rien à voir nous sommes tranquilles de ce côté là.
C’est un mouillage venté et généralement les plaisanciers évitent les mouillages ventés. Mais encore une fois, la mer est plate. Le vent est certes fort, mais il est régulier autour de 25 nœuds, voir moins, c’est tout à fait vivable. Nous mouillons 60 mètres de chaîne pour être tranquille, FIDJI ne dérapera pas sur son ancre ici.
De surcroît, l’eau est d’un bleu profond magnifique !
Pour la première fois, je grée mon matériel de planche depuis la plate forme à l’arrière de FIDJI. En effet, aux Canaries je n’avais pas osé et j’avais tout emmené sur la plage en annexe. Mais une fois la technique acquise, c’est un jeu d’enfant, j’adore ! Plus besoin de partir de la plage, de galérer à porter le matos dans le sable ou la vase comme je l’ai fait si souvent en baie de La Baule !
Plus de prise de tête avec la marée ! Et je vais pouvoir naviguer pieds nus sans risquer de me déchirer les pieds sur les moules et les bigorneaux. Pour couronner le tout il fait chaud, au diable la combi néoprène je peux y aller en short ! Waouw, je vais m’éclater et progresser à grande vitesse !
Dès le départ, à fond
Du réveil au couché je tire des bords parallèles à la plage à toute vitesse pendant 4 jours. Je ne m’arrête que pour manger un morceau de chocolat et boire un coup de flotte ! De temps en temps, un avion qui se pose sur la piste survole la planche à voile lancée à pleine vitesse.
Le weekend, je suis rejoint par deux autres véliplanchistes capverdien. On se tire la bourre pour le plaisir, mais je n’aurai pas l’occasion d’échanger avec eux ce jour là. Ils finissent leur cession bien avant moi, qui ne veux plus m’arrêter. Moi, excessif ? Mais non, juste heureux !
Je m’en sors avec deux belles ampoules aux mains, mais aussi une progression technique énorme. La progression doit se compter en heures, pas en années.
Le village de Sao Pedro
Pendant que je m’éclate sur l’eau, Isabelle en profite pour nager, lire, écrire, et observer la vie du village. Les bateaux des pêcheurs partent tôt le matin et rentrent en milieu d’après midi. Ils sont accueillis par toute la communauté qui tirent tous ensemble les bateaux hors de l’eau.
Cette même communauté va à l’église en dehors du village, le désertant totalement.
La nuit, c’est la fête et on entend la musique jusque tard dans la nuit ! Mais nous sommes assez loin pour que cela ne nous dérange pas le moins du monde.
Accueil spontané et joyeux
Lorsque nous nous décidons à y aller, nous y recevons un accueil très spontané ! Un groupe d’enfant accourt en nous voyant approcher, ils sont très intéressés par notre annexe. Nous la leur confions (drôle d’idée) pour qu’ils nous la gardent pendant notre balade.
Nous faisons connaissance avec Chisca. Il a 60 ans et une sacrée forme physique, il nous apprend qu’il était un des deux véliplanchiste qui faisait la course avec moi la veille ! Nous parlons donc de matos de planche et c’est bien sympa.
Ensuite nous retrouvons les enfants, ils nous épatent avec leur super niveau de français. Nous dessinons la carte de France sur le sable pour leur montrer d’où nous venons. Sans hésitation ils posent un galet là où se trouve Paris, ils nous confient qu’ils ont internet à l’école et qu’ils font des recherches. Il ne faudrait pas laisser Isabelle trop longtemps avec eux, sinon elle risquerait de s’intégrer rapidement à la vie du village et je devrais faire le reste du voyage tout seul :).
Nous leur offrons, comme il nous a été conseillé de faire, des peluches, ballon de foot, crayons et cahiers. Nous apprendrons par la suite que ce n’est vraiment pas super de procéder ainsi. Le mieux c’est de se rapprocher de l’école, de se présenter correctement devant toute la classe, et de confier les cadeaux à l’équipe pédagogique.
Rencontre avec une raie Manta
Pour finir notre bref séjour dans cette baie, nous avons droit à une rencontre inoubliable. Alors qu’Isabelle se trouve sur la plateforme à l’arrière de FIDJI, elle voit un gros « objet » flottant entre deux eaux. Et « ça » se rapproche en plus ! Elle m’appelle et emploie alors une expression qui reste gravée dans nos annales :
« Pat, vient voir, il y a une une peau de vache qui flotte à coté de nous ! »
« ???? »
Je vois ce gros truc, je prends un masque et descends doucement dans l’eau pour aller voir…Là j’hallucine ! C’est comme dans les films ! Une raie manta ! Elle est magnifique, au moins 2 mètres d’envergure ! Elle est accompagnée de 2 poissons pilotes. Je dis à Isabelle de prendre un masque et de me rejoindre, et on se retrouve pendant quelques minutes (ce fût quand même très bref) à nager près d’elle.
Quelle expérience inoubliable ! Évidemment, à l’époque, je n’étais pas équipé pour faire des photos sous l’eau, mais la voici vue depuis le pont de FIDJI 🙂
Repartir – Dernière escale avant la traversée de l’Atlantique
À contrecœur, nous quittons la Baia de Sao Pedro. Pour nous, une escale inoubliable durant laquelle nous avons découvert ce qu’est la vie tranquille au mouillage. Planche, lecture, baignade, apéro coucher de soleil le soir, étoiles la nuit…Et l’alizé, ce vent qui fait que la navigation devient tellement plus facile qu’en zone tempérée…J’en rêvais, car bien que je navigue déjà depuis longtemps, je n’avais jamais eu l’occasion de me poser comme ça plusieurs jours au mouillage sans rien faire d’autre que ce que j’avais envie de faire…Une expérience à renouveler ! C’est quand même quelque chose de naviguer sur son propre voilier, cela change tout, je me sens libre, c’est grisant.
À nouveau, nous rejoignons Mindelo afin d’y faire les pleins d’eau et de gasoil pour la grande traversée vers les Antilles. Il faut nous préparer, ce sera une première et ça fait drôle, vous vous en doutez. Je ne sais pas comment c’est pour les autres, mais en ce qui me concerne je suis quand même un peu stressé avant cette grande aventure. Les questions s’entrechoquent dans ma tête, j’espère avoir pensé à tout, je me sens responsable d’emmener Isabelle vers le grand large, elle qui deux ans auparavant n’avait encore jamais vraiment pratiqué la voile….J’espère que les alizés seront bien établis, je scrute la météo, mais je sais bien qu’il y a une bonne part de chance quand on se lance dans une traversée qui devrait durer entre 14 et 20 jours environ…
Mais ça, je vous le raconte au prochain épisode, pour le lire, c’est par ici : 3.2 Traverser l’Atlantique en voilier
Patrick Belliot
Mata’i Nautisme