Grave incendie dans le port des Bas Sablons…
Le 30 avril 2017 vers 5 heures du matin, dans le port des Bas Sablons à Saint Malo, un incendie se déclenche à bord d’un voilier inoccupé. Il brûle et fait brûler ses voisins. Les amarres fondent, des bateaux en flammes traversent le chenal et enflamment d’autres bateaux.
Carburants, résines, plastiques, bouteilles de gaz, fumées noires opaques et toxiques, je vous laisse imaginer le tableau.
40 pompiers parviennent à stopper le drame.
Que s’est-il passé ? Pas besoin d’être devin pour deviner qu’il s’agit d’un problème électrique, ce que confirment quelques jours plus tard divers rapports d’experts. C’est « un accident », l’enquête n’ira donc pas plus loin.
22 bateaux détruits
C’est simple, j’ai mal dormi après avoir appris ça. Je ne peux pas m’empêcher de me mettre à la place de ceux qui viennent de perdre leur voilier dans les flammes. L’horreur.
Et la colère, surtout si entre voisin il se trouvait y avoir cette fameuse discussion : Laisser son voilier branché au ponton, quels sont les risques ?
Car prendre des risques pour soi-même est une chose, mais les faire prendre à ses voisins de ponton sans leur consentement en est une autre.
Brancher son bateau au ponton, c’est normal !
Les bornes sur les pontons sont faîtes pour ça. On arrive, on se branche. Point.
Mais on trouve de plus en plus de confort à bord : Four micro-onde, cafetière, bouilloire électrique, lave-linge, lave-vaisselle, autocuiseurs, chauffages 220 V, climatisation, chauffe-eau, télé, et même…tireuse à bière…
Ces éléments de confort, même s’ils sont parfois exagérés et superflus, ne sont pas le vrai problème. Même s’ils consomment un max et qu’il est parfaitement injuste que les gros consommateurs ne payent pas plus cher que les autres. Là n’est pas le sujet de cet article.
En effet, là n’est pas vraiment le problème car l’utilisation de tout ce confort se fait généralement en présence des usagers. Il y a donc une certaine surveillance.
Matériel bas de gamme et manque de surveillance
Le problème vient plutôt du fait que :
- Certains laissent leur matériel tourner sans surveillance. Parfois même pendant des semaines ou des mois
- Bien-sûr, le problème est aggravé par le matériel bas de gamme que certains utilisent sans avoir conscience des risques
De plus, une certaine nonchalance vis à vis des questions de sécurité est souvent plus appréciée que les mises en garde. Celles-ci sonnent pour certains comme des atteintes insupportables à leur liberté.
Le sujet est donc plutôt pris à la légère quand on en discute sur les pontons. En tout cas, pour éviter les fâcheries, il est de bon ton de le laisser de côté.
Qualité et entretien du matériel
La qualité et l’entretien du matériel à bord va souvent de pair avec l’usage qui est fait du navire, car :
- quand on utilise souvent son bateau, on achète du matériel de bonne qualité
- et quand on l’utilise très peu ou pas du tout, on a logiquement tendance à choisir ce qu’il y a de moins cher pour l’équiper.
Du coup, comme il y a beaucoup de bateaux inutilisés, le matériel bas de gamme se vend toujours. Certains propriétaires, surtout parmi ceux qui sortent moins de 10 jours par an, ne voient pas l’intérêt de mettre les moyens dans un parc de batterie de qualité, des chargeurs intelligents, des régulateurs de charge, des câbles électriques aux normes ou des convertisseurs pur-sinus…De surcroît, faire intervenir un professionnel pour vérifier son installation coûte très cher. Surtout si son verdict risque d’être :
« Cela ne va pas du tout, il faut tout changer« .
Je comprends bien ce raisonnement, avoir un bateau, c’est très cher. C’est encore plus cher si tout doit être au top. Alors forcément quand on en a un usage limité, on essaye de baisser les coûts. Logique et normal. C’est ainsi que nous pouvons considérer que les bateaux les moins utilisés et les moins surveillés sont aussi potentiellement plus dangereux.
D’autant plus que personne n’est là pour lutter contre un départ de feu…
Montages Mac Giver
Cela dit, on peut tout à fait trouver des situations dangereuses à bord de bateaux habités. Car quand tout est fait au moins cher et qu’en plus tout est monté à la va-vite et n’importe comment, on se retrouve avec un vrai danger flottant en guise de bateau. Que l’on vive à bord ou pas. Voyez plutôt ce placard que j’ai eu l’occasion de prendre en photo à bord d’un Océanis 50 à vendre à Tahiti il y a quelques années. Quelle inconscience ! Danger !
Les propriétaires vivaient à bord et le bateau n’avait pas lâché son corps mort et navigué depuis plus de 10 ans !
Jusqu’ici tout va bien
Cet argument « jusqu’ici ça s’est toujours bien passé », ou « ça fait des années que tout va bien » est allègrement utilisé par ceux qui ne veulent pas changer leurs habitudes.
Par exemple, conduire toute sa vie sans la ceinture de sécurité ne veut pas dire que l’accident mortel a moins de chance de se produire ! Cela veut juste dire que la prise de risque est plus grande. Il faut juste en être conscient et savoir si cela vaut le coup de le prendre, ce risque. Et savoir quelles conséquence la réalisation du risque pourrait avoir.
Prendre le risque pour la ceinture, admettons que ce soit une prise de risque personnelle.
Mais cela n’a rien à voir avec un bateau entouré d’autres bateaux sur un ponton. En effet, sur un ponton, les voisins sont directement concernés car un bateau qui prend feu brûlera également les bateaux de ses voisins. Prendre et minimiser les risques pourtant bien réels pour de mauvaises raisons, c’est donc tout simplement de l’égoïsme et de la résistance irrationnelle au changement.
Théoriquement, une fois la prise de conscience faîtes que prendre le risque n’a aucun intérêt, il n’y a que la résistance au changement qui empêche de s’adapter. C’est pour ceux qui ne veulent pas changer parce qu’ils ont « toujours fait comme ça et que ça s’est toujours bien passé« . Avec ce genre de réflexion, pourquoi rénover la moindre installation électrique ?
Je veux ma bière fraîche tout de suite
Depuis mes premières croisières, beaucoup de choses ont changé. À l’époque j’ai même bu des bières chaudes !! Vous imaginez !! :)…
Mais aujourd’hui on trouve des personnes qui veulent, même après avoir été absents des jours et des jours, que ce soit comme à la maison :
- Que le frigo soit déjà froid et la bière déjà fraîche
- Que la température à bord soit déjà agréable, ni trop chaud, ni trop froid
Donc, le frigo, la clim ou le chauffage tournent en permanence, et sans surveillance. Si ce matériel tourne directement en 220 V avec les câbles appropriés et un disjoncteur différentiel aux normes, c’est « presque » comme à la maison.
Mais si, pour pouvoir le faire, on est en 12 Volts sur un convertisseur et que pour assumer la consommation les batteries doivent être rechargées en permanence, là ce n’est plus du tout comme à la maison. Cet environnement exigu, sur l’eau, contenant de multiples produits dangereux (acétone, gaz en bouteille, essence, etc…), alimenté en 12 Volt, avec des installations souvent bricolées à l’arrache et des fils un peu partout, n’a vraiment rien à voir avec une maison aux normes.
Et j’ajoute que laisser tourner un chauffage électrique tout seul là-dedans, même en 220 Volt c’est risqué. C’est d’ailleurs interdit dans de nombreux ports de plaisance !
Quels sont les risques de laisser son chargeur de batterie en fonctionnement ?
1) Comportement électrique normal
Pendant la recharge des batteries, le chargeur délivre le courant qu’il est capable de fournir. La tension de la batterie monte alors progressivement pour atteindre sa tension de régulation (13,8 à 14 Volt). Lorsque cette tension est atteinte, le courant délivré par le chargeur décroit progressivement au fur et à mesure que la charge se termine.
Lorsque le courant tombe à une valeur « faible » le mode FLOATTING du chargeur est engagé. Ce mode maintient la batterie à sa tension de charge (en général de l’ordre de 13,2 Volt), pas plus. Ceci en vue de ne pas surchauffer et consommer d’électrolyte (= le liquide contenu dans la batterie). Durant cette charge complète, les gaz générés dans la batterie se recombinent et il y a assez peu de dégagement gazeux à l’extérieur des éléments. Il n’y en a pas du tout si la batterie est du type « étanche ».
2) Comportement lors d’une panne de régulation de tension
Lors d’une panne de régulation de tension du chargeur, le courant ne se réduit pas en fin de charge. L’eau de l’électrolyte va alors entrer en électrolyse avec dégagement important d’hydrogène et d’oxygène. Les gaz vont s’échapper, y compris sur les batteries dites « étanches » dont la soupape de sécurité laisse alors s’échapper les gaz émis.
Les batteries dans les bateaux étant souvent dans des environnements confinés, le mélange obtenu est fortement inflammable, voire explosif.
Il suffit d’une minuscule étincelle pour générer un incendie (tel qu’un arrêt de chauffe-eau ou l’arrêt d’une lampe).
Ci-dessous, une vidéo dans laquelle un jeune passionné explique l’électrolyse de l’eau et montre bien l’énergie et la dangerosité des gaz issus de l’électrolyse.
Ce type d’anomalie ne peut être détectée par un disjoncteur
En effet, le chargeur consomme sur le réseau quasiment le même courant qu’en début de charge. Cette fuite ne peut pas non plus être détectée par un disjoncteur différentiel.
Les chargeurs les plus sophistiqués peuvent disposer d’un système de surveillance de la tension maximale censé arrêter la charge si la tension batterie dépasse un certain seuil. Ce qui ajoute une sécurité non négligeable !
Mais ce système non plus n’est pas infaillible évidemment.
Le feu peut également partir d’une surcharge sur un câble vieux ou mal proportionné. Ou d’un court-circuit. Un contact entre le plus et le moins d’un circuit 12 volt…et ça flambe. Nous en avons fait personnellement l’expérience à bord. Il n’y a pas de disjoncteur différentiel sur le circuit 12 Volt et il faut prendre ces risques au sérieux.
Il est donc conseillé :
- d’installer un voltmètre précis sur le tableau électrique afin de vérifier la tension et détecter un problème de régulation du chargeur
- de s’équiper mais aussi d’inciter ses voisins à s’équiper de matériel de qualité avec une installation électrique sérieuse
- si elles sont en charge, de surveiller, au moins une fois par période de 24h la tension des batteries
- d’aérer le compartiment afin d’éviter l’accumulation d’hydrogène et d’oxygène
Conclusion, même si le risque est faible, pourquoi le prendre ?
Personnellement, nous ne le prenons pas ce risque, car nous n’y voyons aucun intérêt. Les cosses de nos batteries sont débranchées quand elles ne sont pas utilisées pendant quelques semaines ou quelques mois. Les batteries sont tout simplement rechargées à notre retour. Et elles se portent très bien, cela dit, c’est de la bonne qualité. Rien de compliqué ou de très contraignant.
Merci, amis plaisanciers, de prendre ce sujet au sérieux ! Ce qui s’est passé à Saint Malo ne doit pas se reproduire !
J’ajoute, quelques mois après la rédaction de cet article deux éléments importants :
- Un fil de discussion à ce sujet sur le forum technique de Hisse et oH
- Un lien vers le règlement intérieur du port de La Rochelle, qui stipule dans son article 28, page 13, que « Les navires ne pourront rester sous tension qu’en présence d’une personne à bord. Tous les branchements constatés sur un navire dont les occupants sont absents, pourront être neutralisés par les agents du port, sans préjudice, le cas échéant, de la responsabilité de l’usager pour tout dommage imputable aux installations qu’il aurait laissé branchées en son absence. »
C’est par ici : Règlement Port de La Rochelle
Sources :
http://www.port-armor.com/incendie-dans-un-port-de-plaisance-attention-danger/
Pour compléter, je vous propose de lire l’article ci-dessous au sujet des batteries à bord des voiliers :
Les batteries à bord des voiliers
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En effet, il y aurait encore beaucoup d’autres choses à dire, je pourrais par exemple développer sur le fait que ces sinistres font exploser le coût de nos assurances…
Bref, si vous avez des commentaires, ou des anecdotes à raconter sur ce thème, n’hésitez pas !
À bientôt !
Patrick Belliot
Mata’i Nautisme