La préparation de l’itinéraire et des escales de sa future grande croisière en voilier est un moment particulièrement agréable et excitant. On est déjà un peu dans le rêve ! En même temps, on se rend compte des distances, on prend la mesure de l’incroyable projet que l’on a décidé d’entreprendre.
Cela peut donner le tournis, voire même nous réveiller la nuit. Je me revois encore, c’était en 2006 et 2007 à La Rochelle, j’avais investi dans des bouquins improbables, lourds et chers, après les avoir méticuleusement sélectionnés : Les Guides Nautiques !
J’y ai vraiment passé du temps, le prix de ces livres tournant souvent autour de 50 Euros ou plus, c’est un sérieux budget quand on a l’intention de visiter plusieurs dizaines de pays, d’Archipels ou d’îles…Voilà donc le genre de livre à choisir soigneusement.
À chaque livraison de l’un de ces ouvrages, quel bonheur ! Voir Bora Bora ou Moorea en couverture d’un livre comme « Landfalls of Paradise », ou les îles Coco Bandero aux San Blas, comme sur le livre d’Eric Bauhaus « The Panama Cruising Guide »….C’était le genre de chose qui me faisait beaucoup d’effet ! Pour moi c’était le rêve quoi, tout simplement…
Après avoir lu, relu, rerelu et étudié de près tous ces livres, je peux vous dire qu’en arrivant sur place je n’étais pas perdu.
Pourquoi ces livres sont importants
Dans une grande croisière, il faut faire de multiples choix. Ces choix, on les fait forcément. Parfois inconsciemment ou sans se poser de question, mais parfois à la suite de mures réflexions.
Les décisions prises en route sont pourtant de toute première importance. Et bien que l’on puisse toujours se tromper, le fait de lire et de s’informer à travers ces guides permet de réduire les risques d’erreur. Choisir quand partir, choisir dans quel mouillage nous allons trouver refuge, en savoir un peu plus en terme de sécurité afin de ne pas risquer de se faire agresser.
Choisir ses escales en fonction des lieux où nous pourrons nous approvisionner en eau et en nourriture, trouver une connexion internet, réparer une panne, acheter ou se faire livrer du matériel…Toujours savoir quels port ou abris rejoindre si une tempête arrive…etc…
Personnellement j’ai toujours préféré savoir où je mettais la quille avant de choisir de m’y rendre (ou pas). Et de toute façon, on ne peut pas tout faire…C’est pourquoi pour faire ces choix, pour préparer ses escales et sa route, certains guides nautiques me semblent assez indispensables.
Par exemple, sans le livre d’Éric Bauhaus « The Panama Cruising Guide », nous ne serions tout simplement pas allés aux San Blas, la région étant très mal cartographiée.
Quelques guides nautiques que nous avons à bord
J’ai finalement investi dans une dizaine guides nautiques. En voici quelques uns, les plus « importants » (ce qui ne veut pas dire qu’ils se valent tous, loin de là) :
- « Iles de l’Atlantique », un guide Imray que j’apprécie. Il vaut mieux d’ailleurs car il est vendu autour de 70 Euros aujourd’hui !
- « Guide des Antilles » de Jacques Patuelli, indispensable aux Antilles. Son prix est passé, en 2019 à 67 Euros dont 5 euros de livraison en France. Belle inflation sur ce guide également.
- « The Panama Cruising Guide » de Eric Bauhaus, le meilleur de tous les guides nautiques que je connaisse, vendu 75 Euros en ce moment.
- « South Pacific Islands – Landfalls of Paradise », qui survole un peu toutes les îles et qui du coup ne donne pas d’informations très utiles malheureusement. Il peut-être cependant assez utile pour choisir ses escales dans le Pacifique. Il coûte 85 Euros neuf et je trouve ça très cher.
- « Escale de Grande Croisière » et « Routes de Grande Croisière » de Jimmy Cornell. La qualité de ces livres est incontestable, mais les informations sont limitées je trouve. Tant de pays sont évoqués que parfois on se retrouve avec seulement deux ou trois pages par pays, ce qui ne nous donne donc que des informations très générales. « Routes de Grande Croisière » est excellent pour bien comprendre les saisons et faire les bons choix pour les traversées. Son seul inconvénient, outre son prix, est que l’auteur a du mal avec la « prise de risque ». Jimmy considère par exemple « dangereux » de passer une saison cyclonique en Polynésie ou en Nouvelle Calédonie. Certes quand on le fait, on risque de se prendre un cyclone dans la mature, mais ni plus ni moins que ceux qui y vivent. Envisager de prendre ce risque n’est pas « dangereux », il faut en être conscient voilà tout. Cela dit j’aime beaucoup Jimmy Cornell et je vous conseille également ses autres livres, comme « une passion pour la mer« . Effectivement, cet homme a beaucoup navigué et il aime vraiment ça, c’est un passionné !
- « Guide de Navigation et de Tourisme de la Polynésie Française » de Patrick Bonnette et Emmanuel Deschamps. C’est le seul guide en français que j’ai trouvé pour la Polynésie Française, disons qu’il est « mieux » que le « Charlies Charts of Polynésia« …Mais franchement ça ne vole pas haut. Si vous en connaissez d’autres, faîtes le moi savoir SVP…Car c’est très très limité comme guide nautique, avec la plupart des informations qui datent de plusieurs décennies. Les cinq archipels de la Polynésie Française sont évoqués, cela fait beaucoup dans un seul livre ! Du coup, comme de surcroît les auteurs ont également voulu donner des informations touristiques et historiques en plus des informations nautiques, ce guide est largement perfectible. Cela dit, à ma connaissance, il n’y en a pas d’autre…
Ci-dessous, la couverture de Routes de Grande Croisière de Jimmy Cornell, une des bibles du bord. Ouaaaah, ça ne vous donne pas des envies de voyage vous ?
Des guides nautiques aux qualités variées
Parfois, il n’y a pas d’autre choix que d’acheter un guide de qualité moyenne. Parce qu’il n’y en a pas d’autre, ou qu’on en n’ a pas trouvé. Évidemment, il est illusoire d’espérer trouver tous les guides nautiques dont nous avons besoin en Français, l’Anglais est majoritaire !
On est parfois déconcerté par le manque d’informations pertinentes pour la navigation, par l’âge des données, ou parce qu’on constate que certaines cartes sont encore des cartes tracées à la main il y a 30, 40 ans ou plus ! Ce fut le cas dans notre guide pourtant « réédité » sur la côte pacifique du Costa Rica, pour certains atolls des Tuamotu ou autres îles du Pacifique…
Sans parler de tous ces vieux guides nautiques récupérés en PDF sur des clés USB. J’en ai récupéré au moins une cinquantaine comme ça. Dans certains cas, on ne trouve son bonheur que parce que quelqu’un a eu la patience et la drôle d’idée de prendre chaque page d’un guide nautique en photo (oui oui) et de la faire circuler sur internet !
Mais quand la dernière édition a plus de 30 ans on commence à se poser des questions quand même.
Les cartes marines papiers
Avant de partir, en faisant le compte, nous avons halluciné sur le coût des cartes marines nécessaires au voyage que nous envisagions. En 2007, une carte marine coûtait autour de 18 Euros (c’est plutôt 30 à 35 aujourd’hui et même 50 Euros en Nouvelle Calédonie !). Pour notre tour du monde, il nous en fallait minimum 200. Faîtes le calcul, pour nous il était hors de question de mettre 3500 ou 4000 Euros dans des cartes marines papiers que pour certaines nous n’utiliserons qu’une seule fois, voire pas du tout !
Heureusement, grâce à l’association Sail The World, (STW pour les intimes), nous avons pu en toute légalité acheter des photocopies certifiées, environ 6 euros pièce. Mais attention, il est théoriquement interdit de photocopier les cartes marines françaises ! Il s’agit des cartes venues tout droit des États-Unis ! En effet, les cartes marines produites par les services hydrographiques aux USA sont considérées comme des cartes du domaine public. Ce qui n’est pas le cas des cartes produites par le SHOM en France !
C’est comme ça, les photocopies des cartes marines sont autorisées aux USA et interdites en France. On pourrait en rire si ce n’était pas si ridicule !
Pour vous dire jusqu’où ça va, il nous est arrivé de croiser des plaisanciers voyageurs équipés de papiers calques, et lorsqu’ils trouvaient un plaisancier équipé d’une carte intéressante, ils s’amusaient à en décalquer manuellement des morceaux ! C’est ce qu’on appelle naviguer à l’ancienne !
Commander des cartes marine par zones géographiques
J’ai donc commandé des lots de cartes photocopiées disponibles sur le site internet de STW. C’était génial.
Une fois les paquets de cartes reçus, je les étalais directement sur le parquet à la maison, je mesurais, calculais, visualisais…Je m’éclatais à tracer les routes, prévoir les traversées et les escales en fonction des saisons. Je notais tout ça sur un calepin et faisais le lien avec les guides nautiques.
Mon objectif depuis des années était cette fameuse éclipse totale de soleil, visible le 11 Juillet 2010 aux Tuamotu en Polynésie Française et avec laquelle j’avais rendez-vous. (Voir l’article d’introduction aux carnets de voyage : Un rêve se réalise )
Il me fallait donc tout calculer, depuis notre départ prévu en septembre 2008, pour arriver à temps tout en ayant visité un max de beaux endroits en cours de route. Vous l’aurez noté, je garde un super souvenir de cette phase de préparation au voyage où l’excitation monte graduellement, je voulais tellement larguer les amarres. Dehors il pleuvait, c’était l’hiver et j’avais des cocotiers pleins les yeux.
Naviguer avec Google Earth
J’ai également passé beaucoup de temps à explorer les mouillages, les passes, les pointes et les caps sur le logiciel Google Earth. Et je l’utilise toujours beaucoup aujourd’hui !
J’utilise l’outil capture et la mémoire cache. Car le logiciel garde automatiquement en mémoire les dernières visites pour un chargement plus rapide, c’est ce que l’on appelle la « mémoire cache ». Il est possible d’en régler le volume. Ainsi, à la condition d’y avoir pensé avant, il est possible de retourner consulter Google Earth en navigation, hors connexion internet. Par exemple en pénétrant dans un endroit exigu, sinueux ou dangereux.
Quand c’est chaud, comme par exemple à l’entrée des passes de Maupiti ou de Mopelia, j’utilise toutes les informations à ma disposition. Carte marine papier ET électronique, guide nautique ET Google Earth. Je me positionne avec plusieurs GPS indépendants les uns des autres, mais également au besoin par rapport à divers éléments du paysage ou du balisage grâce au compas de relèvement.
Pour en revenir à Google Earth, la mémoire cache est insuffisante sur du long terme. Alors je crée des dossiers dans mon PC. Et j’effectue de multiples captures d’écran (grâce à « l’outil capture » de Windows) que je range soigneusement et sauvegarde dans plusieurs disques durs. L’arborescence est simple, par exemple : Voyage / Croisière –> Google Earth –> Caraïbes –> Panama –> San Blas –> Coco Bandero…
Vous avez une idée de ce que cela donne avec deux images de la passe de Maupiti ci-dessous :
Les images de Google Earth sont d’une précision redoutable, largement supérieure à la plupart des cartes marines.
Comme vous le verrez ci-dessous, la moindre patate de corail est visible et nous pouvons encore naviguer ou mouiller sans souci quand la carte papier nous dit qu’il n’y a plus d’eau, que c’est par exemple une « Zone de hauts fond dangereux parsemé de nombreux récif ».
Il faut savoir utiliser le calendrier de Google Earth (la petite horloge). Elle garde en mémoire les images prises auparavant. Il est ainsi possible de voir un endroit où des nuages ou de mauvais reflets donnent une mauvaise visibilité tout simplement en changeant la date….
Mais la vigilance reste de mise car ce logiciel n’est pas fait pour la navigation.
Cela dit, nous sommes allés nous balader dans de nombreuses zones non-cartographiées comme les Roques, au Venezuela. Nous avons pu faire de la voile dans les atolls des Tuamotu grâce à Google Earth et à une bonne visibilité. Quand on y pense, quel logiciel incroyable ! Il nous a aussi permis de trouver des passes et de choisir des mouillages de rêve qui n’étaient pas dans les guides.
Alors pour la grande croisière, je considère Google Earth, tout comme les cartes marines et les guides nautiques, comme un outil de première importance ! Et même indispensable pour sortir des sentiers battus et visiter quelques endroits reculés, peu, mal ou pas du tout cartographiés.
Cartes marines numériques
Il y a aussi bien sûr les cartes marines informatiques, électroniques ou numériques. À l’époque, en 2006 – 2007, c’était encore assez nouveau et on s’échangeait des clés USB entre voileux rencontrés au détour d’un forum sur internet, d’un ponton quelconque, ou d’une soirée apéro au mouillage.
On s’envoyait parfois carrément des clé USB par la Poste, avec inclus les logiciels comme C-Map et les cartes marines vectorielles piratées comme les fameuses CM-93 !
Il fallait plusieurs heures pour installer un logiciel complexe et parfois non compatible avec tel ou tel système d’exploitation…Il m’est arrivé d’avoir envie de m’arracher les cheveux. Mais bon cela valait le coup !
Car aujourd’hui encore, mes cartes marine pirates (celles du monde entier) sont toujours et définitivement installées sur de vieux PC qui fonctionnent toujours. Bien sûr, tout à changé aujourd’hui, et je serais bien embêté si je devais refaire la manip’ et tout réinstaller ! En tout cas, c’est une sécurité non négligeable d’avoir, en plus de ses cartes papiers, toutes ces cartes dans plusieurs PC. En voyage je les ai beaucoup utilisées, peut-être même plus que les cartes papiers !
Mais cela ne fait plus de sens aujourd’hui de pirater ces cartes. En effet, les prix des logiciels comme Navionics ou MaxSea n’ont plus rien à voir avec les fortunes demandées à l’époque (près de 10000 Euros pour faire installer un Maxsea complet avec toutes les cartes !!!).
Aujourd’hui c’est simple comme l’installation d’une application de l’Apple Store. On achète d’un coup toute une zone de navigation, c’est un abonnement mis à jour chaque année pour une cinquantaine d’euros. Plus simple, plus efficace et moins cher ce n’est pas possible, et c’est légal en plus. Franchement, tout n’a donc pas augmenté et c’est aujourd’hui un vrai plaisir de naviguer avec ces outils ! J’adore !
Ci-dessous, une image de la carte Marine électronique Navionics affichée sur mon ipad. Il s’agit de l’extrême nord de la Nouvelle Calédonie.
Je reviendrais sur les notions importantes à connaître au sujet de ces cartes vectorielles qui peuvent être piégeuses (on déplore plusieurs graves accidents). Ce sera dans un dossier Navigation, sous l’onglet « Formation Nautique » de ce blog.
Blog et sites internet dédiés à la Grande Croisière en voilier
Il ne faut pas oublier les BLOGS et autres sites internet dédiés ! J’ai trouvé énormément d’informations par ce biais, grâce aux voyageurs qui sont passés avant nous et qui ont eu la patience de partager leur expérience.
Suivre les blogs des plaisanciers permet souvent d’obtenir des informations récentes et pertinentes. Lors de notre voyage, nous en avons suivi plusieurs et rencontré certains. Parmi eux, nous comptons aujourd’hui des amis, car ensemble nous avons parfois partagé de grands moments, comme avec Badinguet aux San Blas ou aux Marquises par exemple.
Pour certains, le tour du monde est déjà bouclé, mais en tout cas voici quelques exemples à connaître :
Sans oublier les sites incontournables des associations :
Bien sûr, il y en a d’autres, la liste n’est pas exhaustive. Outre les belles photos, les récits d’aventure et les forums, ces blogs nous ont rendu de multiples services en fournissant les infos dont nous avions besoin.
En tout cas, Internet semble être une ressource inépuisable, particulièrement utile quand on est en quête de données ou d’informations difficiles à trouver. Progressivement les livres deviendront des applications, tant mieux, c’est tellement moins lourd sur un voilier ! Et un jour, toutes nos cartes marines seront électroniques. Vous n’y croyez pas ? Pourtant, c’est déjà le cas sur les navires professionnels, avec l’ECDIS, la carte papier n’est plus obligatoire à bord. Alors préparez-vous !
Je ne suis pas en train de dire que l’on peut se passer des notions de base en navigation, mais que l’avenir sera, sûrement, numérique…
Conclusion
Après un vrai boulot de recherche pour sélectionner les bons guides nautiques et les cartes marines nécessaires, au final je pense qu’on s’en est assez bien sortis. Nous avions trop de cartes marines papier, certaines s’étant révélées inutiles, mais comme souvent, il vaut mieux en avoir trop que pas assez.
Faire sans toutes ces infos nous aurait fait rater des escales magnifiques.
Heureusement aujourd’hui, il est possible de trouver des cartes électroniques fiables à un prix hyper bas. Les prix ont tellement chuté qu’il est devenu ridicule de les « pirater ».
En revanche, les cartes éditées par le SHOM sont toujours aussi chères, et ce n’est pas normal. Elles pourraient être publiques comme aux USA, franchement ! Comme si on ne payait pas assez par ailleurs…Et ce n’est pas la vente de carte marine qui finance le SHOM de toute façon. Ce service est évidemment en pleine mutation avec toutes ses propres cartes à numériser… Une chose est sûre, la qualité de son travail est un atout à préserver, mais à 33 Euros la carte, ce n’est vraiment pas à la portée de tout le monde d’investir en cartographie SHOM pour un grand voyage en voilier.
Quant aux guides nautiques, les prix ont flambé, et certains ne sont vraiment pas terribles, mais bon, on n’y peut pas grand chose.
Si nous avions dû acheter tous les guides nautiques, toutes les cartes papiers SHOM, ainsi qu’un logiciel comme MAXSEA et les cartes qui vont avec, nous aurions explosé le budget et sûrement atteint les 15000 Euros. Nous nous en sommes sortiss pour environ 2000 Euros (parce que même à 6 Euros la carte photocopiée, ça monte vite quand il en faut beaucoup).
Alors, oui, c’est toujours un important poste de dépense, même en 2019, mais on peut s’en sortir grâce aux nouvelles technologies. Il faut prendre le temps de regarder tout ça avant de partir.
Bonnes réflexions, et si vous en êtes là, « enjoy » !
Patrick Belliot
Mata’i Nautisme