Pour vous mettre un peu dans le contexte, nous sommes fin 2014 à Nouméa. Nous y sommes arrivés voilà un an et nous y vivons une vraie vie de citadin, ce que nous n’avons pas fait depuis bien longtemps.

Nous vivons toujours à bord de FIDJI, tantôt au mouillage, tantôt en marina. Je travaille comme formateur à l’école des Métiers de la Mer et donc, nous ne disposons pas de beaucoup de temps pour naviguer. Disons, moins qu’avant.

Quand on a la chance d’avoir un membre de sa famille à Nouméa, beaucoup de personnes vivant en Europe choisissent cette occasion pour aller y faire un tour. C’est pourquoi, en novembre 2014, mon frère et sa copine nous rendent visite. Et fin décembre, nous attendons ma nièce et une copine également en vadrouille dans les parages.

Avec mon frangin, nous partons donc pour une superbe croisière de près de deux semaines jusqu’à l’île des Pins.

Nous sommes au top.

Navigation Nouvelle Calédonie
Navigation Nouvelle Calédonie

Comment nous avons cassé notre safran

La croisière se déroule parfaitement et nous passons la dernière nuit sur un des corps mort de l’îlot Maître à proximité de Nouméa.

Il fait SUPER beau, la mer est comme un miroir. Au petit matin, nous larguons le corps mort pour repartir, je n’ai même pas encore pris mon café. Sur la trajectoire qui nous a mené sur ce corps mort se trouve maintenant un voilier, lui même sur un autre corps mort à côté de nous. Devant nous, c’est le corail et l’îlot Maître. Je pars donc en marche arrière afin de passer derrière le voisin.

On ne fait pas 15 mètres, je suis en train de saluer le fameux voisin lorsque mon frère me signale « ça n’a pas l’air profond derrière »…Je me retourne, horreur, une énorme patate de corail ! Le temps de remettre en avant, trop tard ….CRAC….Le voilier s’arrête net sur la patate.

Je refais 15 mètres en marche avant pour reprendre le corps mort et je plonge. Les premières constatations sont vite faîtes, le safran est cassé, plié en deux !

Fabrication safran voilier

Je retourne le matelas de la cabine arrière pour vérifier s’il y a une voie d’eau.

Rien.

Je réalise tout de suite à quel point nous avons de la chance d’avoir un voilier comme FIDJI, un Gin Fizz et son safran semi-suspendu !

Encore une fois, nous louons la conception intelligente de notre voilier !

Avoir un safran semi-suspendu : La base

Pour que vous compreniez bien de quoi on parle, je vous présente quelques clichés. Vous verrez alors la différence entre des safrans :

  • Suspendus : ils ne tiennent que par la fixation de leur axe à l’intérieur du voilier
  • Posés : l’axe est posé tout en bas d’une partie fixe du voilier
  • Semis suspendus : l’axe est posé sur une partie fixe du voilier (le « skeg »), mais pas tout en bas, souvent vers le milieu
Fabrication safran voilier
Fabrication safran voilier
Fabrication safran voilier
Fabrication safran voilier

Alors que je suis encore en train de vérifier que nous n’allons pas couler et de me demander si nous pouvons naviguer et rejoindre Nouméa, je réalise CONCRÈTEMENT à quel point le safran semi-suspendu est une géniale sécurité.

Car le fait que le safran soit posé dans sa crapaudine fait que seule la partie basse s’est cassée. L’axe, que l’on appelle aussi « la mèche » n’a pas bougé. Le tube de jaumière (le « trou » par lequel passe la mèche) n’a pas de fissure. Même les joins spi de la mèche sont OK, rien n’a bougé malgré la violence du choc.

Malgré le safran cassé, nous sommes en état de naviguer

Le bas du safran a joué un rôle salvateur de fusible, le voilier peut par ses propres moyens et en toute sécurité rejoindre un port pour réparer.

Aujourd’hui après y avoir longuement repensé, j’estime ce montage indispensable en grande croisière. En effet, sur un safran suspendu, c’est la mèche qui supporte tous les efforts, qui sont considérables en navigation.

Et en cas de choc, le résultat peut évidemment être la perte totale du voilier (et des gens qui sont à bord).

Regardez le safran gris ci-dessus, c’est comme cela que sont fabriqués les safrans d’aujourd’hui (ce qui réduit les coûts de production). Et le comble, c’est qu’ils sont pourvus le plus souvent d’une mèche en fibre de verre creuse (voir ci-dessous). Sur FIDJI, la mèche est une grosse barre pleine en inox, comme vous le verrez plus bas dans la vidéo.

Ci-dessous, un exemple "moderne" d'une mèche de safran

Avec ce genre de montage, beaucoup de propriétaires rencontrent des soucis, à commencer par le fait que les bagues de quelques centimètres qui doivent supporter les charges et les mouvements du safran finissent rapidement par s’user et prendre du jeu.

On trouve ça sur nombre de voiliers de série, des Océanis aux Sun Odyssey, sans oublier les Dufour, les First, les Hanse…

Jugez par vous même. En ce qui me concerne, mon opinion est faite.

D’autant plus que des mèches comme celles là, j’en ai vu casser en école de voile deux fois sur le même bateau à quelques mois d’intervalle. C’était un First 33.7 à barre franche. OUI deux fois ! Après que Bénéteau ait renouvelé le safran une première fois, la mèche toute neuve s’est cassée de nouveau, sans la moindre collision avec un objet flottant, mais en laissant la barre partir trop violemment en butée (un classique lors des marches arrières (qui n’arriverait pas si le safran était mieux conçu)).

En tout cas, c’est beaucoup trop fragile, cela se voit au premier coup d’œil :

Fabrication safran voilier
Fabrication safran voilier

Bref, de notre côté, nous sommes évidemment très heureux de pouvoir rentrer au port avec un safran qui fonctionne malgré le fait qu’il soit plié en deux, une mèche qui n’a pas bougé et une coque intègre, sans la moindre voie d’eau.

Timing serré et vrais amis

Le voilier reste manœuvrant, mais nous demandons quand même l’aide de notre copain Jean-Da qui n’hésite pas à quitter son boulot pour être présent à bord de son annexe au moment où nous prenons une place au ponton A de la marina Port du Sud.

Malgré notre abattement, nous relativisons cette galère qui finalement n’est pas bien grave si on la met en perspective avec tout ce qui aurait pu arriver de pire. Nous estimons en fait avoir beaucoup de chance, d’abord parce que c’est arrivé par grand beau temps, en toute fin de croisière et près de Nouméa. Les vacances de mon frangin n’ont pas été gâchées, la mèche n’est pas tordue, le tube de jaumière n’a pas bougé, et nous allons avoir droit à beaucoup de bonnes volontés pour nous aider !

Nos copains, dans ces circonstances, montrent à quel point ils peuvent être nos amis.

Nous sommes cependant un peu embêtés car nous n’allons avoir que 8 jours pour réparer entre le temps où le chantier peut nous accueillir, « pas avant le 10 décembre », et la date de départ en vacances du grutier…Remise à l’eau au plus tard le vendredi 19 à 8h30 au matin.

Fabriquer un safran en 8 jours ? Est-ce possible ?? Si nous ne sommes pas prêts à temps, nous passerons Noël et Nouvel An au sec au chantier en attendant le 5 janvier, et le retour de vacances du grutier.

En sachant que ma nièce et sa copine arrivent le 20 décembre pour faire une croisière avec nous !

C'est vraiment très chaud, cela nous paraît impossible

ON A DONC QUAND MÊME « UN PEU » LA PRESSION…Et je dois prendre tout ce qu’il me reste de jours de congés pour m’occuper de ce chantier !

Jean-Da spécialiste du bois nous propose son aide et nous prête son échelle. Josselin se mobilise pour assister dans la manœuvre et mettre le voilier dans les sangles du travelift. Vaea nous propose de nous héberger pour que nous ne soyons pas obligés de dormir au chantier. Et Oyer (c’est un prénom Basque et cela se prononce « O hier » ¨) ) nous propose son garage, son atelier, ses outils et son incroyable expertise !

En grand spécialiste, il nous assure que nous allons y arriver dans les temps ! Il nous l’affirme, mais sans lui cela aurait été impossible.

Grâce à lui, qui va jusqu’à nous faire la liste du matériel nécessaire, nous expliquer où le trouver et nous tirer le plan du safran, nous nous organisons. Nous prenons les mesures, achetons la résine, les tissus, le contreplaqué…etc…nous faisons un maximum de choses avant de sortir le voilier…Et nous le sortons, le 10 décembre comme prévu.

Voilà la tête qu’avait notre safran, forcément ça marche moins bien comme ça.

Mais on comprend bien sur cette photo à quel point le bas du safran a pu jouer son rôle de fusible :

Fabrication safran voilier

Finalement, en temps et en heure, nous y arrivons !

Nous découpons le reste de safran à la scie sauteuse. Je constate alors qu’il n’y avait aucun risque de le perdre. Nous aurions pu finir une traversée océanique avec le safran comme ça ! Ensuite, grâce au fait que tout le matériel et les outils soient déjà parés, on commence tout de suite.

Oyer va finalement faire lui-même une bonne partie du travail. J’apprends, je prends un maximum de notes, de vidéos et de photos. En effet, fabriquer un safran, ce n’est pas le genre de boulot que l’on fait tous les jours, il me faut documenter ça pour un futur article ( = > celui que vous lisez en ce moment ¨) ) !

Fabrication safran voilier

Fabriquer un safran en 8 jours, c'était donc possible !

Avec le recul, je dirais aujourd’hui que c’était une bonne expérience. Quand on aime apprendre, on voit les choses comme ça.

Et surtout, nous savons que nous avons des amis sur lesquels nous pouvons compter. Même si ce n’est pas tous les jours facile à Nouméa, il faut bien dire que certaines de nos rencontres nous enchantent vraiment ! MERCI À TOUS !

SURTOUT À TOI OYER, MERCI ENCORE !

Et notre assurance locale, Groupama, nous a TOUT remboursé ! Alors…Tout est bien qui finit bien.

Si vous avez besoin de conseils techniques sur la fabrication d’un safran, n’hésitez pas à me contacter !

Pour finir en beauté, je vous propose cette vidéo de 9 minutes, vous verrez concrètement comment nous avons fait !

Si cet article vous a plu et que vous voulez continuer votre lecture, je vous propose : Pourquoi nous avons failli démâter

À bientôt!

Patrick Belliot

Mata’i Nautisme