Catamaran Bahia 46

Pour mon premier charter, un sacré baptême…

Me voilà donc Hôtesse de bord, Certificat d’Initiation Nautique, (CIN), en poche. Pat et moi allons découvrir notre capacité à travailler ensemble sur un voilier au départ du port du Marin en Martinique. Pour la première fois, nous allons accueillir des clients à bord d’un catamaran Bahia 46.

Pour savoir ce que nous faisons là, vous pouvez lire l’article « Premier séjour ensemble aux Antilles ».

Nous embarquons pour deux semaines sur un Bahia 46

Ce « charter » (on appelle cela également du « Bareboat » ou de la « location avec équipage ») est un « One Way ».

C’est-à-dire que nous devons déposer nos clients à l’extrémité du parcours, dans les Grenadines, et ramener le voilier sans eux.

Le « One Way » bien qu’un peu plus cher pour les clients, est une excellente idée car il laisse bien plus de temps pour profiter du trajet et des escales sans se presser ! Et bien sûr, même si nous devons le faire le plus rapidement possible, nous nous réjouissons de ramener le voilier tous les deux. Donc tout se présente bien.

L’accueil de nos premiers clients

Pour cette première nous accueillons un groupe d’amis formés de deux couples, deux fillettes d’environ 8 ans, un bébé de 18 mois, et un célibataire. L’avitaillement est fait, les cocktails sont au frais, les cabines sont prêtes et fleuries. Nous avons couru dans tous les sens pour que tout soit parfait et nous arborons notre plus beau sourire.

Mais dès leur arrivée nous comprenons que cela ne va pas se passer comme prévu.

Le catamaran Bahia est équipé de quatre cabines doubles, deux couchettes dans les coursives, ainsi que deux pointes avant.

Nous avions préparé les couchettes des filles dans les coursives, parfaites pour des enfants de 8 ans, et avions préparé les quatre cabines, dont une pour nous.

Mais on nous demande de libérer notre cabine pour les deux jeunes filles qui veulent dormir ensemble. Nous sommes donc relégués dans les pointes avant, l’un à bâbord l’autre à tribord. Nous restons cool, gardons le sourire et essayons de relativiser.

Les pointes avant, qu’est-ce que c’est ?

Un petit mot sur ce que l’on appelle « LES POINTES AVANTS » : Les catamarans sont presque tous prévus et dessinés pour loger un maximum de clients.

Les sociétés de location de voilier, le « charter de masse » et la « défiscalisation outre-mer » ont formaté les catamarans de série. Ils se ressemblent tous dans leur conception et leurs aménagements les plus classiques.

Donc, tout à l’avant des coques, deux options :

Soit on est sur un catamaran de propriétaire qui va y installer du matériel, une soute à voile, un atelier, un groupe électrogène bien isolé…

Soit on est sur un catamaran de location. On y trouve alors une planche à l’horizontale avec une mousse dessus, ce qui permettra de coucher deux personnes de plus, puisqu’il y a deux coques. C’est malin, sauf que l’on trouve, selon la taille des catamaran, 30 à 50 cm de largeur au niveau des pieds et moins d’un mètre au niveau des épaules. La plupart du temps, la seule aération, c’est le hublot de pont au-dessus de la tête qui permet bien sûr de pénétrer dans son super cercueil. Pas de vaigrage, pas d’isolation, pas d’étagère ni de rangement. On dort avec son sac et ses affaires en vrac.

La pointe avant quand il pleut

Quand il pleut ? C’est simple, il faut fermer le hublot de pont. La pointe avant devient alors rapidement un four insupportable.

Lorsque le hublot n’est pas parfaitement étanche (ce qui arrive fréquemment quand on change de catamaran toutes les semaines), le lit est humide, car en navigation, les vagues passent fréquemment sur ces hublots.

Et bien entendu il n’est pas prévu que l’équipage dispose de sanitaires. À part dans les Lagoon 570 sur lesquels nous avons travaillé par la suite, il n’y a pas de toilettes ni de douche dans les pointes avant !

On se moque de nous

Avec l’âge, ça use. Ce n’est pas l’inconfort qui use. NON. Ce qui use c’est ce manque de considération incroyable pour notre travail. On se moque complètement de nous, de notre confort et de notre bonheur au travail. Et pourtant la satisfaction des clients repose bel et bien sur nos épaules.

Négliger le confort des équipages, c’est négliger la qualité de la prestation que l’équipage pourra fournir (fatigue, bonne humeur, motivation, reconnaissance…).

C’est également l’assurance de voir les couples expérimentés changer de métier à la première occasion. Dévalorisez notre métier permet certes de payer le personnel moins cher, mais cela ne permet pas de proposer un prestation de qualité.

Organisation et intendance à bord

Sur le catamaran Bahia 46, le plan de travail de la cuisine est sur le frigo. Ce n’est pas simple et on comprend que les architectes de ce voilier ne doivent pas beaucoup cuisiner. C’est quand même fou de devoir tout enlever de son plan de travail à chaque fois que l’on doit accéder au frigo !

On se dit que pour si peu de temps ce n’est vraiment pas grave. Mais ce premier charter nous paraît bien long. Les enfants capricieux ne sont pas sympas et passent le plus clair de leur temps enfermés dans leur cabine. Les parents ne sont guère mieux. La jeune maman s’étonne, son bébé dans les bras et la clope au bec, de le voir pleurer en permanence.

L’activité pêche

Certaines personnes ont une conception bizarre de la pêche. Surtout ceux qui ne mangent pas trop de poisson. En effet, nous avons dû en jeter, nous en avions trop. Mais nous avons entendu l’un d’entre eux nous  rétorquer : « Je gagne assez d’argent et paie assez d’impôt dans la vie pour qu’on ne me reproche pas de pêcher pour le plaisir, même si je ne mange pas le poisson ».

À ce sujet nous n’avons pas changé notre façon de penser, il est hors de question de tuer une dorade coryphène ou tout autre poisson « pour le plaisir ».

Nous avons bien vu qu’ils n’avaient pas l’habitude qu’on leur tienne tête…

Soirée pocker, le bébé n’a pas le pied marin

Hormis la pêche, leur autre activité favorite est le poker avec mise effective d’argent sonnant et trébuchant. Et un soir, ils n’ont rien trouvé de mieux que de sérieusement s’engueuler. Nous constatons que le bébé n’est vraiment pas heureux à bord et pleure beaucoup y compris au milieu de la nuit en réveillant tout le monde.

Bref, l’ambiance est électrique. Dingue cette ambiance alors que nous sommes dans un petit paradis.

Mouillage Grenadines

Dernière soirée, ambiance boucherie…

Pour couronner le tout alors que nous sommes au mouillage entre Petite Martinique et Petit St Vincent, nos clients rentrent très alcoolisés d’une soirée au restaurant, la dernière d’ailleurs.

Ils décident de prendre un bain de minuit. Pire que des enfants, ils se chamaillent et se bousculent « gentiment» mais ils sont complètement saouls. Dans sa chute à l’eau l’un d’entre eux se blesse sur l’échelle de bain.  En fait, il s’est gravement ouvert le pied sur une vingtaine de centimètres. Il faut l’envoyer aux urgences se faire recoudre, il est 2 heures du matin dans un coin paumé des Grenadines….

Mais l’un d’entre eux est chirurgien-dentiste. Il a tout le matériel.

Il décide de recoudre son copain à vif

Là, ici et tout de suite, il en prend la responsabilité.

Nous voilà donc à 2 heures du matin au mouillage avec un client le pied pissant le sang sur la table du cockpit. Pat rechargeant les lampes à la manivelle, éclairant le chantier et moi jouant le rôle de l’assistante épongeant le sang et éclairant également au mieux la plaie.

La victime réclamant du whisky en guise d’anesthésie, son autre pote le servant allègrement en l’enlaçant par l’épaule, le chirurgien-dentiste refermant la  blessure avec une bonne vingtaine de points de suture à vif….L’horreur.

À ce moment, dans nos souvenirs, le bébé ne pleurait plus.

 Et je ne vous raconte pas la fin de la nuit, le moment ou le blessé se vautre dans l’escalier et rouvre la plaie en faisant sauter ses points de suture…

Puis vient le moment de déposer notre équipage à terre

Avant même les premières lueurs du jour nous faisons route à pleine vitesse vers leur hôtel et le dispensaire à Union Island, quelle joie de leur dire adieu.

Le lendemain Pat se réveille avec une fièvre inexpliquée ! Lui qui n’est jamais malade…

Mais il faut ramener le catamaran en Martinique, ce que nous faisons rapidement, ainsi que notre rapport de mer pour les assurances.

Le client blessé va par la suite porter plainte contre la société de location du catamaran….car il y avait cette écharde en inox sur l’axe de l’échelle de bain.

Sans commentaire.

Donc, pour une première c’était du lourd. Du très lourd.

Heureusement, par la suite même si l’enchaînement des charters était épuisant, nous n’avons plus jamais vécu ce genre « d’aventure » ! Nous avons aujourd’hui, plus de 10 ans après, de nombreuses autres expériences, toutes plus sympas les unes que les autres.

Le plus souvent, ce fut du bonheur d’exercer ce métier ! Cela dit, enseigner la voile nous procure encore plus de plaisir !

Ci-dessous, un catamaran Bahia 46 de location, aux Antilles.

Catamaran Bahia 46 au moteur

Isabelle Verdier – Belliot

Mata’i Nautisme