Allumer des feux
À chaque saison sèche, le feu ravage des milliers d’hectares, transformant les forêts en paysages minéraux. Avec eux, ce sont des espèces animales et végétales originales et endémiques qui sont menacées de disparition. Le problème c’est que le feu en Nouvelle Calédonie, on pourrait presque le qualifier de pratique « ancestrale » ou « culturelle ».
En effet en Nouvelle Calédonie, de terribles incendies touchent les réserves comme par exemple la réserve intégrale de la Montagne des Sources en 2006 détruisant 4500 hectares de végétation extrêmement sensible et unique. Chaque année, ça recommence.
Malgré les alertes, certains n’hésitent pas à continuer à mettre le feux de façon volontaire. Au delà des cas de mise à feu vraiment criminelles et purement destructrices, certains défendent cette pratique comme étant une coutume ancestrale. Faire place nette, avec le feu, simple et efficace…
Mais les conséquences de ces pratiques sont malheureusement très méconnues.
Les multiples effets de l’érosion des sols
Ces incendies favorisent une énorme érosion. Les sols sont mis à nus. Lorsqu’il pleut, l’eau ne pénètre plus dans la terre trop sèche. Elle provoque immédiatement des inondations, et dévale les cours d’eau pour se jeter directement dans le lagon. Il est donc lui même indirectement impacté par les incendies.
L’eau ne pénétrant plus dans les sols, les nappes phréatiques disparaissent et la sécheresse gagne du terrain. La disparition des forêts modifie le climat et le rend particulièrement sec. Les effets d’un sol chauffé par le soleil sur le vent thermique le rende plus puissant, ce qui tend à encore plus assécher le pays, en particulier la côte ouest complètement déboisée et où les précipitations se font rares.
À cela s’ajoute l’exploitation minière qui depuis plus d’un siècle a balafré les massifs, scalpé leurs crêtes, détruisant elle aussi la végétation. C’est un autre sujet, mais l’érosion des sols est un problème d’ensemble en Nouvelle Calédonie !
Un manque criant de moyens de lutte contre les incendies est également à dénoncer.
Sur tous ces sujets, je vous invite à lire l’excellent article détaillé « Le risque de feu de brousse sur la Grande Terre de Nouvelle Calédonie : L’homme responsable, mais pas coupable »
La colère des pompiers est grande, Lire cet article à ce sujet : « Nouvelle Calédonie, les soldats du feu tirent la sonnette d’alarme »


Un récit pédagogique à ce sujet
Nous l’avons trouvé dans l’ouvrage de Francy Brethenoux-Seguin, Le temps d’un silence (Edition l’Harmattan).
Nous le publions ici avec son aimable autorisation :
Notre terre pleure … elle brûle
Hier, en revenant de l’école avec mes copains, nous avons encore vu un feu qui brûlait la montagne. Quand j’étais petit, j’aimais bien les flammes rouges qui mangeaient les mauvaises herbes. Je regardais la fumée qui faisait de jolis dessins dans le ciel. Mais maintenant que je suis presque grand, quand je vois un feu de brousse, il me donne envie de pleurer. Surtout depuis que j’ai entendu mon grand frère, Tchéou, m’expliquer comment le feu faisait partir en fumée notre forêt. L’autre jour, quand il est revenu de Nouméa, il m’a dit :
« Tu vois Doui, les feux de brousses c’est terrible. Ils détruisent les plantes et les arbres. Certains disparaissent pour toujours. As-tu remarqué qu’il y a de moins en moins de chênes gomme ou de fougères arborescentes quand tu vas te promener ? Par contre, il y a de plus en plus de niaoulis, de sensitives géantes et de gaiacs. Les clairières prennent la place de nos forêts.
– Mais les niaoulis sont des arbres aussi. Qu’est-ce que ça peut faire s’il en pousse beaucoup ? On en a besoin pour les cases et pour les médicaments.
-Oui, je sais. Mais pour la forêt, ce sont des arbres plus pauvres que le kaori, le tamanou ou le houp. Eux ils apportent l’humidité nécessaire aux arbres plus petits qui vivent en dessous d’eux. Les pandanus par exemple. A leur tour ces arbres plus petits vont permettre aux fougères, aux orchidées, aux mousses et aux champignons de se reproduire. Et tu sais, il n’y a pas que les arbres qui disparaissent.
– Quoi encore ?
– Les feux de brousse détruisent aussi les lieux où vivent les animaux. Ils trouvent de plus en plus difficilement leur nourriture. Les incendies font disparaître les nids et les œufs des oiseaux.
– Tu veux dire que si les feux de brousse continuent à brûler, ils vont faire disparaître aussi les notous, les rossignols …
– Les gobe-mouches, les pigeons verts … et bien d’autres encore. Il ne faut pas oublier aussi les insectes, les araignées et les vers. Même si nous les aimons moins que les oiseaux, ils sont aussi nécessaires à la vie de la forêt. »
En l’écoutant je remue la terre avec un bâton. Elle est sèche et dure. En juillet avec les inondations, elle était molle et je pouvais creuser facilement pour planter les maniocs dans le petit champ que mes « vieux » m’ont donné. Mon grand frère me regarde et me demande :
« Tu sais comment s’appelle ce que tu touches avec ton bout de bois ?
– Bien sûr que je sais ! Ce n’est pas parce que je n’ai pas quitté la tribu pour aller à Nouméa que je suis bête !
– Ne te fâche pas. Je sais que tu n’es pas bête et que tu apprends plein de chose à l’école, même si des fois on oublie de te parler de l’histoire de la terre Et bien, ce que tu touches avec ton bâton, c’est l’humus. C’est la partie qui est à la surface du sol. Grâce à l’humus, les fleurs et les plantes peuvent pousser. Ce sont leurs racines qui retiennent l’eau. L’humus c’est une éponge qui garde l’humidité du sol. Et en brûlant, le feu détruit aussi l’humus.
– Et alors, qu’est-ce que ça fait ?
– La végétation qui est à la surface du sol est emportée. La terre devient nue. Il n’y a plus rien sur elle. Elle devient tellement pauvre que plus rien ne pousse.
– Mais si les feux de brousse continuent, ça veut dire qu’on ne pourra plus faire pousser nos ignames et nos taros ?»
Tchéou ne répond pas ? il regarde la mer. Ses yeux sont tristes. Moi aussi je sens quelque chose de triste en moi. Et si mon île disparaissait à cause du feu ? Mon grand frère reprend la parole :
« Avant il y avait de l’eau, disent les vieux. Mais savent-ils pourquoi les sources disparaissent les unes après les autres ? Pourquoi les creeks sont de plus en plus petits ? Le grand responsable, une fois encore, c’est le feu.
– Comment le feu peut-il être responsable du manque d’eau ?
– En saison sèche, quand il fait très chaud, la végétation et le sol sont des réservoirs qui gardent l’eau et l’humidité. Quand il pleut, l’eau coule le long des arbres et des racines. Comme ça elle entre plus facilement dans la terre qui est assez humide pour que continuent à pousser les plantes et les arbres. Mais quand le feu a détruit la végétation et l’humus, ces réservoirs disparaissent.
– Et les inondations, pourquoi y en a-t-il de plus en plus ? Ce n’est pas à cause du feu cette fois ?
– Et bien, si. C’est encore lui le responsable.
– Comment ?
– pendant la saison des pluies, l’eau n’est plus retenue puisque la terre est devenue toute nue. Alors elle coule à toute allure et se transforme rapidement en torrents qui peuvent provoquer des inondations terribles.
– Mais le feu, qui est responsable ?
– Ça c’est une autre histoire … »
***


La nuit commence à tomber, c’est l’heure du feu. Sur la plage, plusieurs petits foyers sont déjà allumés. Dans le tronc d’un manguier mort, mon grand frère et moi faisons brûler quelques branches de cocotier. Elles sont tombées dans la journée près de la case. Je suis fier de ma tribu. Elle est propre. Dès le début du jour je suis réveillé par le bruit du râteau de maman qui ramasse les feuilles de manguier autour de la case. Tous les dimanches soirs les petites allées qui mènent devant les cases ou la maison commune sont nettoyées et on ne voit plus traîner une seule boîte de Number One.
En silence, mon frère et moi nous regardons les flammes jaunes, rouges et bleues. C’est beau. Beau comme le feu. Je prends la parole :
« Dis, Tchéou, qui est responsable du feu ?
– Pourquoi me poses-tu la question quand tu connais la réponse ? »
J’attends que le silence me donne la solution.
« C’est l’homme… Mais pas tout le temps ?
– Tu sais les accidents sont très rares. L’homme est presque toujours responsable des feux de brousse.
– Pourquoi met-il le feu ?
– Les jeunes comme les vieux utilisent le feu pour débrousser. C’est plus rapide et moins fatiguant. Mais aujourd’hui ils l’utilisent beaucoup trop. Avant papa me disait : tu vois fils, quand tu veux faire du feu, il faut attendre la fin de journée, quand le vent tombe. Comme ça tu es sûr qu’il n’ira pas brûler à côté. Ne brûle que là où tu as besoin.
– Tu sais Tchéou, il faut que je te dise. L’autre jour en me promenant dans la vallée, et bien j’ai vu…
– Qu’est-ce que tu as vu ?
– Et bien j’ai vu des jeunes de la tribu qui mettaient le feu exprès. Ils ne débroussaient pas. Ils allumaient des touffes d’herbe et après ils partaient en courant et riaient. Pourquoi font-ils ça ?
Mon grand frère baisse la tête. Il attise avec un bâton les braises. Il ne dit rien. Son silence est long. J’attends que les mots sortent de sa bouche. Enfin, il me répond :
« Je ne sais pas très bien pourquoi les jeunes mettent le feu exprès. Certains disent que c’est parce qu’ils s’ennuient ou par vengeance. D’autres disent que c’est parce qu’ils ne respectent plus le sacré, les valeurs. Peut-être que c’est une façon d’exprimer leur révolte. Je crois que nous, les jeunes aujourd’hui, il y a plein de choses que nous ne savons plus. Les vieux ne transmettent plus la parole « Comment il faut brûler ». Il y a longtemps ils nous racontaient des contes qui nous disaient la valeur des choses.
– Pourquoi ont-ils arrêté ?
– Avant les enfants restaient à la tribu avec eux. Alors les vieux avaient du temps pour transmettre la parole. Mais aujourd’hui les enfants restent presque toute la journée à l’école et ils n’ont plus le temps pour les écouter. L’ignorance est une des causes principales de tous ces feux de brousse. L’autre jour je discutais avec Bealo, tu sais le jeune frère de Pwédé. Il me disait qu’il avait honte de voir des collines entières disparaître sous le feu et devenir noire comme des cailloux. Il m’a dit, si ça continue comme ça dans quelques années, il n’y aura plus rien sur cette île. Notre terre pleure, elle brûle. »
Mon grand frère a baissé les yeux. Il pleure sans les larmes. Je prends la parole :
« Ce n’est pas possible que notre forêt disparaisse. Il y a des solutions, j’en suis sûr. Qu’est- ce qu’on peut faire ?
– Bien sûr qu’il y a des solutions. Il y en a beaucoup même.
– Lesquelles ?
-Je sais que, dans certaines tribus, les coutumiers ont promis de faire des réunions pour informer les gens. Ils vont leur dire pourquoi il ne faut pas faire des feux de brousse n’importe où et n’importe comment.
– Voilà une bonne solution ! Je trouve que c’est mieux que de faire payer des amandes.
– Dans d’autres tribus, des personnes ont décidé de planter des arbres pour aider notre terre à se reboiser. Je sais aussi que dans plusieurs villages, il y a un service de l’environnement. Les gars qui y travaillent sont prêts à informer les tribus qui le voudront bien. Ils peuvent même te donner des conseils et te dire quels arbres il faut replanter pour aider notre forêt à revivre. Tu vois les solutions elles sont dans chaque village, dans chaque tribu, dans chaque personne. Nous sommes tous responsables de notre terre. Nous lui appartenons et nous devons la respecter. Tu comprends ?
– Oui je comprends que la première personne qui doit la respecter c’est moi.
– Et qu’est-ce que tu vas faire pour ça ?
– Tout ce que tu m’as dit aujourd’hui je le redirai à mes copains de la tribu. Comme ça, ils comprendront pourquoi il ne faut pas faire de feu de brousse exprès. Je commence demain ! »
Nous souhaitons remercier Madame Brethenoux-Seguin d’avoir écrit ce texte et de nous avoir permis de le diffuser ici !
Patrick Belliot
Mata’i Nautisme